Librement adapté du livre éponyme de Judith Duportail, le documentaire « L’Amour sous algorithme » retrace une rencontre banale du XXIe siècle : celle de Judith, célibataire, et de son « Match 664 » sur Tinder. L’occasion pour le réalisateur Jérôme Clément-Wilz d’explorer, auprès de nombreux spécialistes, l’impact des technologies sur nos amours contemporaines. Ce document « Infrarouge », à la portée scientifique et sociologique, est à découvrir mercredi soir sur France 2.
Mercredi matin. 09.00. Judith se réveille, prend son téléphone et ouvre machinalement Tinder. Là, elle discute avec son « Match 664 », à savoir le 664e « match » de Judith avec un homme sur cette application de rencontre. Après un jeu de séduction, elle finit par lui lancer une invitation explicite : « Ramène-moi un café et un orgasme. » Pour Judith, l’attente commence… Les doutes et les interrogations aussi.
En parallèle de cette intrigue amoureuse contemporaine, le documentaire nous plonge au cœur d’une autre histoire : celle des algorithmes, justement à l’origine du « match » virtuel entre Judith et l’homme qu’elle s’apprête à rencontrer par de vrai. « Lorsque je me suis attelé avec Judith à l’adaptation de son livre L’Amour sous algorithme*, peu de films documentaires avaient donné corps au monde “virtuel”, explique le réalisateur Jérôme Clément-Wilz. Ce nouveau monde est abstrait, alors il a fallu le rendre tangible : c’est pourquoi nous rentrons dans l’intimité d’une rencontre réelle, scrutée pour le film par des scientifiques. »
Des rencontres triées sur le volet
À l’issue d’une enquête de plusieurs mois sur le fonctionnement des applications de rencontre et leurs algorithmes, Judith Duportail avait été la première utilisatrice à récupérer l’intégralité des données personnelles collectées par l’application Tinder au cours de ses quatre ans d’utilisation. Soit 860 dialogues de Judith avec des hommes… Ces données, analysées par des spécialistes, ont permis de décrypter le fonctionnement des algorithmes et leur impact sur nos vies amoureuses et sociales. Comme le rappelle Clémentine Lalande, PDG d’une application de rencontre, il faut voir l’algorithme comme une espèce de grande marmite dans laquelle vont se glisser les informations (hobbies, envies, humeurs, voyages, etc.) jugées pertinentes par les développeurs. « Quand on design un algorithme de rencontre, explique-t-elle, on a une responsabilité gigantesque : choisir les ingrédients, décider de ce qu’il est pertinent d’utiliser comme critère ou pas, a un impact décisif. »
Un business model construit sur notre désarroi, notre solitude.
Judith Duportail
L’algorithme, reflétant la subjectivité de son créateur, fait ainsi un travail de tri. Et va même jusqu’à optimiser l’ordre d’apparition et de suggestion des profils, de manière que les profils les plus attrayants n’arrivent pas trop vite… Ce qui signerait alors la fin du jeu de séduction et du commerce virtuel. Pour Judith, il s’agit d’un « business model construit sur notre désarroi, notre solitude. On se fait berner. On croit qu’on va sur une application pour rencontrer des gens mais tout est fait pour qu’on ne rencontre personne ! Qu’on reste comme des rats drogués dans une expérience, une espèce d’addiction, d’expectative, de shoot d’ego… » Au-delà de sa portée scientifique et technologique, L’Amour sous algorithme apporte une dimension psychologique et sociologique à ces rencontres des temps modernes. Pour le réalisateur Jérôme Clément-Wilz, « plus qu’uniquement scientifique, ce documentaire est existentiel : sommes-nous libres de nos actions ? Une rencontre est-elle si unique, magique qu’on le pense ? »
* Le livre de Judith Duportail, L’Amour sous algorithme, est publié par les Éditions Goutte d’Or. Il est disponible aux éditions Le Livre de poche.