En France, des coachs en séduction exploitent le marché des hommes célibataires à coups de cours sur les relations hommes/femmes et de formations à la drague de rue. Derrière ces enseignements, se cachent des prestations à 100 euros de l’heure, parfois empruntes d’une idéologie antiféministe.
Remy, la petite quarantaine, chemise ouverte, mèche blonde et rasé de près, est coach en séduction à Paris depuis trois ans. « Relooking, atelier street session, consultations en ligne… ». Au fur et à mesure qu’il détaille ses formations, des effluves d’eau de Cologne envahissent le hall d’un luxueux hôtel de Montmartre. Sa clientèle ? « Des ingénieurs, des geeks, des mecs brisés par un divorce ou une rupture, qui ont entre 18 et 50 ans ».
Ils sont quelques dizaines à exercer ce métier de love coachs, et ce majoritairement dans la capitale. Sur internet, les pseudos défilent : « Mike, le dragueur de Paris », « Loup, expert en séduction », « Logan séduction », « Léo le philogyne » (« Léo qui aime les femmes »). Tous proposent un coaching à des hommes plus ou moins vieux, « isolés socialement et amoureusement », selon Émilie Delétré, coach en séduction et développement personnel. Drague de rue, conseils sexo, perfectionnement de sa plume virtuelle sur les applis de rencontre : il y en a pour tous les goûts.
La rue comme terrain de chasse
« En général, les coachs sont très masculinistes. C’est toujours : l’homme est le chasseur, la femme est sa proie. Et tout ce qui va pouvoir faire céder la proie est enseigné », s’indigne Catherine Grangeard, psychanalyste. Et pour compléter le tableau de chasse, rien de mieux qu’une street session pendant laquelle les séducteurs se transforment en arpenteurs de bitume. La ville devient alors le terrain de jeu de ces flâneurs et le trottoir, lieu de tous les possibles, espace érotisé par les talons des passantes qui claquent sur les pavés.
Mais la drague de rue pourrait-elle s’apparenter à de l’harcèlement, alors que ce dernier est puni par la loi depuis 2018 ? « Mes clients n’ont jamais abordé une nana en la traitant de sale pute. Ça, ça relève de l’agression », se défend Remy.
Xavier a contacté Remy en février 2020 pour un atelier street session. Après plusieurs années passées à l’étranger, une rupture, et un retour en France, il est resté célibataire pendant plus d’un an et n’arrivait pas à construire de relation sur le long-terme. Au programme de cette formation à 489 euros : un déjeuner avec le coach durant lequel il explique sa vision des relations hommes/femmes et des conseils pour gagner confiance en soi et bien vivre le rejet féminin, puis cinq heures de drague de rue. « Au début, je demandais seulement des directions, des adresses aux passantes. Puis je devais les approcher avec des petites phrases comme “j’aime bien ton style” et obtenir des numéros. » Une technique concluante ? Pas vraiment : « J’ai obtenu une dizaine de numéros mais beaucoup étaient faux ou mes messages restaient sans réponse. Cela m’a toutefois appris à gagner confiance en moi, et aujourd’hui, je suis épanoui dans ma relation de couple. »
Même constat pour Théo*, 19 ans, membre des Philogynes, un groupe privé de séducteurs : « Aujourd’hui, quand il y a une fille qui me plaît, j’y vais direct. Je ne me pose plus de questions. J’ai fait de super rencontres. » Des suivis personnalisés sont également proposés aux élèves pour les aider à y voir plus clair dans leurs relations amoureuses : « J’analyse des échanges de textos ou je conseille mon élève pour l’aider à régler une dispute par exemple », raconte Louis*, coach à Paris.
Hormis les techniques d’approche, que faire pour toutes les faire craquer ? S’éloigner du schéma-type de « Bobby the nice guy », le gentleman attentionné qui offre des fleurs au premier rendez-vous, car selon Louis : « les femmes préfèrent les connards. Le connard excite le radar à mâle alpha [archétype de l’homme viril] de la femme. Elles aiment les hommes dominants. »
Alain Soral et Neil Strauss comme mentors
Ces coachs en séduction ont développé une philosophie de l’amour à part entière. Leurs références : The Game du journaliste américain Neil Strauss et Sociologie d’un dragueur de l’essayiste d’extrême-droite Alain Soral. Deux livres de « pop psychologie » écrits dans les années 2000, devenus les Bibles des séducteurs. « Cela parle de comment séduire les belles femmes même si l’on est timide, mal dans sa peau et mal à l’aise », explique Loup, coach en séduction, sur son site internet.
Si le livre de Strauss propose des méthodes concrètes pour séduire, comme celle du « push and pull », « une approche manipulatrice pour troubler l’autre et le rendre dépendant de l’attention qu’on lui porte et qu’on peut lui retirer à tout moment » comme nous l’explique un apprenti séducteur, celui de Soral est plus théorique. Pépites sexistes, généralités et classification des femmes y sont fréquentes : « La pétasse : c’est une couche-utile qui marchande, ne sait pas donner. Le dragueur cherche les pétasses pour retrouver le plaisir de punir. La bonniche : elle donne, elle est mystique et soumise ».
Les différences hommes/femmes valorisées
Derrière ces ouvrages de développement personnel, une seule pensée : celle de la désirabilité des différences entre hommes et femmes. « Les femmes recherchent de l’engagement, tandis que les hommes sont plus tournés vers le sexe », affirme Nesrine, coach pour femmes depuis un an. Remy, lui, explique à ses élèves que les femmes envisagent les relations sur le long terme. Il n’hésite pas à argumenter : « Je crois que c’est Freud qui disait : « après toutes ces années, je ne sais toujours pas ce que veulent les femmes ». Et bien moi, je sais ! Elles veulent avoir des enfants et fonder une famille ».
La séduction, une science exacte ? En tout cas, nul besoin d’une formation pour en faire son fond de commerce. Nesrine tente de légitimer son activité : « En France, le titre de coach n’est pas réglementé. N’importe qui peut prétendre à ce titre. Moi, j’ai quand même fait une formation en PNL (programmation neuro-linguistique : un ensemble de techniques fondées sur l’étude des comportements) ». Mais pour Véronique Cordiola, fondatrice de la première école de séduction française et sexothérapeute : « Un coach qui ne travaille pas avec un psy n’est pas sérieux. Même avec mon expérience, je travaille toujours aux côtés d’un psychologue ».
Une communauté de séducteurs
Sur le forum public de la French Touch Seduction, la tendance est plutôt à la « réappropriation de sa masculinité » : « Comment se sentir bonhomme, masculin, quand on n’a pas été entouré par des présences masculines fortes ? », s’interroge FK, 38 ans.
Léo est devenu coach en 2013 et a accompagné « plus d’un millier de personnes sur le terrain », prétend-il sur son site internet. Il a créé le très privé club des Philogynes, qui compte près de 300 membres. Pour y entrer, il faut répondre à un questionnaire détaillé et payer un abonnement de 20 euros par mois. Chaque mardi, ils se réunissent sur Discord, plateforme de messagerie instantanée, pour discuter échecs amoureux et autres rencards. Les astuces échangées vont du simple conseil aux précautions à prendre lorsque l’on est accusé de viol : « Ne jamais avouer ou reconnaître qu’il y a pu y avoir un viol. Et surtout il faut badiner, badiner, badiner. Parce que s’il n’y a pas de preuves et que ça va au procès, ça se fera au charisme et il faudra être plus convaincant qu’une nana qui pleure ». Les insultes et commentaires sexistes sont fréquents : « as-tu ordonné un suce pute, branle pute ? », peut-on lire en réponse au témoignage d’un homme se demandant pourquoi une femme qu’il avait fréquentée n’avait pas souhaité continuer le rapport sexuel. Ou encore : « À partir de combien de partenaires une femme est-elle une salope ? », « Deux », répond un participant.
Ce besoin d’appartenir à un groupe masculin, Catherine Grangeard l’explique par le fait que les hommes parleraient moins de leur vie intime entre eux que les femmes, qui construiraient leur féminité grâce aux magazines féminins, là où les hommes manqueraient de modèles auxquels s’identifier : « Ce n’est pas viril de parler de ses peines de cœur, de se demander des trucs de cul entre mecs. Les femmes sont éduquées à parler de l’intime car nous étions cantonnées à notre foyer. Les hommes allaient sur l’agora parler politique, or ce n’est pas sur l’agora qu’on discute cunnilingus ! ».
La supposée crise du marché de la séduction
À écouter ces professionnels de l’amour, le marché de la séduction est en crise. Dans le viseur des coachs, un ennemi commun : le féminisme, qui est « allé trop loin car il a créé un déséquilibre dans les relations hommes/femmes », observe Mélanie Gourarier, sociologue et autrice de Alpha Mâle. La drague, c’était mieux avant, regrette Remy : « Il y a dix ans, place Saint-Michel, à Paris, on trouvait une trentaine de mecs qui tentaient leur chance auprès des nanas. Aujourd’hui, la drague de rue est abîmée par le féminisme et la distanciation sociale. »
Les apprentis séducteurs s’interrogent également sur les conséquences de Me Too sur la séduction. En réponse à Rominoss, 25 ans, membre de la French Touch Seduction et depuis banni du forum : « Pour draguer, faut faire du sale, faut pas se restreindre, faut enlever la culpabilité, les vrais dragueurs que je connais c’est des vrais bâtards », l’administrateur du groupe tempère : « les gens un minimum intelligents se sont rendus compte qu’on ne fait pas de rencontres satisfaisantes avec des techniques de manipulation et de dénigrement, surtout à une époque où le harcèlement est de moins en moins toléré ».
Sur les forums en ligne et au sein des formations proposées par les coachs, les conseils se succèdent. L’amour n’attend pas, et peut se trouver au coin de la rue. À moins que le numéro cédé par la demoiselle tant convoitée ne soit faux… Dans ce cas, la quête continue.
Victoria Lavelle