« Mon existence amoureuse est aussi excitante que celle d’un colin froid. Il me faut du relief. Le coup de foudre. La fille qui fera swinguer mon coeur et mon corps. Mais où la trouver, entre le boulot, la garde alternée des enfants, le sport, la fatigue, les dîners avec les vieux copains grincheux ?

Et surtout, comment procéder ? Mon désarroi a dû transpirer dans la salle de rédaction car, une fois de plus, c’est moi qui ai été désigné pour partir en mission sur le terrain, et répondre à cette question qui taraude mes camarades féminines du journal : que se passe-t-il dans tous ces cours et autres séminaires de séduction pour mâles en perte d’assurance ? J’ai dit oui : c’est peut-être enfin l’occasion d’entrer dans la cour des George Clooney et de devenir un « pick-up artist » (artiste de la drague) diplômé..

Les six commandements du coach séduction 

Question stratégie, je suis, il faut en convenir, un pied nickelé. J’ai pourtant déjà avalé « The Game », l’ultra-bestseller sur la séduction, de Neil Strauss, un petit gars bredouillant au crâne d’oeuf et au physique de rien du tout, devenu en quelques années le maîtrequeux des recettes de drague grâce à quelques trucs, paraît-il, infaillibles. Parce que, ça peut toujours servir (même si ça semble frappé au coin du bon sens), j’apprends par coeur les six commandements du « Mâle dominant », prototype d’a(i)mant idéal, et censé faire basculer toutes les filles dans mes bras maigrelets :

À la recherche de la bonne drague

Un petit tour sur le Web s’impose. La liste des coachs séduction est un vrai annuaire du bonheur à portée de clic. Encore faudrait-il savoir lequel choisir.Il y a la méthode du renard, basée sur la drague tout en finesse ; celle, plus obscure, de « la balise temporelle », à laquelle je n’ai rien compris ; ou celle destinée à modifier l’image déplorable que les autres ont de vous. « Jean-François, me met en garde ce coach virtuel, on ne t’accordera pas de valeur tant que tu ne t’en accorderas pas toi-même. Si tu as les dents pourries, les lèvres gercées, une mauvaise haleine persistante, des problèmes de peau grasse et si tu es en surpoids, tu auras du mal à concrétiser ! » Ce type a définitivement raté une vocation de médecin du travail.

Je jette un oeil consterné sur la méthode « Comment séduire une fille intelligente » (c’est bien connu, les hommes dans mon cas ne cherchent à séduire que des connes). Je lis : « Les filles intelligentes sont souvent attirantes, elles sont intéressantes, subtiles, ont du répondant (et portent souvent des lunettes qui leur donnent un air sévère et sexy). » C’est si intelligent que je passe à autre chose. Tiens, un play-boy qui se fait fort de tomber une fille toutes les secondes, ou presque, démos filmées en douce à l’appui. Ça semble marcher. Une blague, deux remarques agréables, trois sourires, et l’affaire est dans le portable. Un autre dans le même genre propose des stages « targets ». Ce n’est plus de la séduction, c’est l’opération « Tempête du désert », avec entraînements martiaux et vocabulaire emprunté aux gars en tenue camouflage : « La drague, explique Gambler, doit être discrète, imperceptible, subtile comme un avion furtif. »

Des questions en vrac, je relève ces perles : faut-il de l’argent pour séduire les femmes ? Comment bien réagir à un compliment ? Est-il temps pour vous de changer de « wingman » (meilleur pote) ? Comment éviter les râteaux ? Comment captiver et séduire grâce au pouvoir des mots ? Bref, je patauge, et je ne suis pas près d’améliorer mes « social skills » (compétences relationnelles avec les femmes).

Mais il faut que j’avance. Je choisis finalement une femme comme coach, parce que je pense qu’elle saura mieux comprendre qu’un homme mes points forts et mes points faibles, et comment me faire progresser. Laurence me plaît aussi parce qu’elle a monté son école dans les années 90, autant dire à l’âge de pierre du coaching amoureux.

Mon stage de parfait séducteur

Rendez-vous dans le bar feutré d’un palace parisien, où cette quinqua sexy à la crinière ondoyante, perchée sur de très hauts talons et un peu perchée tout court par son mélange de rhétorique sérieuse et d’évanescence comique, me pose des questions sur mon parcours avec les femmes et mes motivations. J’en apprends autant sur les siennes, car elle est bavarde et ne pratique pas la rétention d’ego. Je paie son verre, c’est sa façon, subtile, de ne pas me facturer cette prise de contact (je ne suis pas chez un médecin, après tout).

Une semaine plus tard, nous nous retrouverons dans son bureau de la rive gauche, près des Invalides (j’y vois un présage très freudien). Laurence m’accueille chez elle, derrière un bureau Empire, et me montre le canapé. J’ai presque le réflexe de m’allonger comme chez mon psy… mais non, je m’assois gentiment et j’ai droit à toute une batterie de tests qui permettront de sélectionner le module de stage personnalisé. Un test de mots, allant de « job » à « mère », de « sexe » à « mort », d’« amour » à « bonheur », et j’en passe, où je dois écrire sans trop réfléchir ce qu’ils m’évoquent. Le débriefing est sévère (mais je suis là pour encaisser les coups) : je suis dans une stratégie d’évitement, mon empathie n’est pas toujours dirigée à bon escient, je ne m’intéresse pas à l’autre comme il faudrait. « Le pouvoir de séduire, me glisse Laurence, avant de refermer la porte, donne le pouvoir de choisir. »

J’ai en tout cas le pouvoir de choisir de continuer ou non : va pour toute une nouvelle batterie de tests destinés à mesurer mon estime de moi-même, auxquels je me soumets, cette fois-ci par mail. Je suis (plus ou moins) heureux d’apprendre que je suis « un bel homme, serial divorcé, intelligent et fin, de très bon niveau socioculturel, mais attiré par des femmes au fort tempérament qui ne pourraient en aucun cas (me) convenir sur du long terme car (j’ai) une peur panique d’être étouffé, voire aspiré par elles ». J’en saurai plus au séminaire organisé samedi en huit, auquel me donnent droit les 345 euros déjà versés.

Cette fois-ci, le rendez-vous a lieu dans l’Est parisien, dans un de ces bureaux loués à l’heure, avec paperboard où sont griffonnés des graphiques aussi impressionnants que sibyllins et écran pour applications Powerpoint. Je me croirais presque à une réunion marketing des Cafés Richard si l’un des participants n’attirait mon regard : c’est un Italien musculeux, les pecs et les biceps moulés dans un T-shirt slim fit, qui se révèle être notre prof de drague, le Gino de la petite culotte, l’homme qui nous ouvrira les portes de l’amour… Autour de Laurence, qui préside et s’occupe de la théorie, et de Gino coach séduction, chargé de la pratique tout-terrain, nous sommes six, quatre hommes et deux femmes. Un quadra belge extraverti mais pas très amusant, deux jeunes types qui semblent pétrifiés de timidité et deux femmes ni belles ni moches, plutôt exubérantes, bien que rompues à l’exercice du bide en série.

Premier exercice : se dire bonjour devant nos examinateurs. Ouf, je regarde bien dans les yeux en esquissant un sourire, ma poignée de main est jugée franche et la moiteur m’est inconnue. Nous effectuons ensuite une série d’exercices et de jeux de rôle qui vont de la façon d’aborder une fille à la mise en condition de son corps par diverses danses syncopées sur un tube de Rihanna. Chacun a un carnet pour prendre des notes, car il y a aussi une succession de questions psycho-sexe auxquelles il faut bien répondre. Laurence expose ensuite le but du stage ultérieur : « Maîtriser l’approche, séduire, développer ses sens, gérer sa relation et… sa rupture. » Car parmi les options envisagées, l’une tient la corde : partir, chaperonné par le tandem, en stage immersion « targets » parmi une armée de célibataires en chaleur dans un hôtel-club ensoleillé. Si la perspective est enthousiasmante, la facture l’est beaucoup moins. Comptez au bas mot 12 000 euros pour huit jours.

Quatre râteaux et une bonne pelle

Je ne donne pas suite (ma banquière m’étranglerait pour de bon), mais je retiens les conseils olympiques de Gino qui, eux, n’ont pas de prix : « Je me vois un peu comme le Usain Bolt de la drague ; avec les meufs, par rapport aux mecs, j’ai toujours une longueur d’avance ! Tu sais pourquoi ? Parce que je n’ai pas peur de l’échec. Pour quatre râteaux, j’obtiens une pelle, pas mal comme stat’, non ? Je vais te donner un conseil : avant de partir en chasse, mets-toi nu devant ta glace et danse comme un dingue. Tu verras, rien de tel pour vaincre le ridicule et te sentir invincible ! Lance-toi, mec, tu finiras bien par taper, mais surtout, reste toi-même ! »

Rester moi-même ? Tout ça pour ça… Moi qui avais fini par croire que je ne devais surtout plus l’être dans mes comportements ! Mais Gino et Laurence m’ont titillé : je ne peux plus reculer, il faut que je me jette à l’eau. Je rentre danser nu devant ma glace, je suis grotesque, mais j’assume. Je me répète en boucle : « Je suis le Usain Bolt de la séduction. » Ma méthode Coué semble fonctionner, je suis remonté à bloc, je vais cartonner boulevard Saint-Germain, je n’en doute pas une seconde. Je souris à une jolie fille coiffée d’une casquette, qui me regarde comme si j’étais un demeuré échappé de OuiOuiland : « Vous ne m’avez pas déjà vu quelque part ? » Une grande tige à la frange brune ne goûte pas plus au « neg » que je lui balance en pleine poire, sans doute un peu trop près d’elle, ce qui provoque de sa part un mouvement de recul compréhensif.

Pourtant, si j’en crois Mystery, le célèbre « pickup artist » américain, le « neg », cette sorte de phrase d’approche décalée, peut être déstabilisante pour la « cible ». Explication : en lâchant ce genre de vannes, le chasseur montre qu’il n’est pas impressionné par le physique de sa proie et lui fait ainsi comprendre que c’est à celle-ci de gagner son attention. Un truc qui fait, paraît-il, mouche à pratiquement tous les coups… Mais, non, bide lamentable à tous les étages. Avec des débuts aussi calamiteux, j’ai l’impression de provoquer autant d’excitation que la vue d’un navet mou dans un autocuiseur. Laurence m’avait bien dit d’offrir des fleurs avec des mots, mais apparemment, les roses invisibles que je balance dans un café de l’Odéon à mes voisines de table, deux Américaines dubitatives, ont trop d’épines. Le french lover peut aller se rhabiller. A La palette, je commence à être ­ légèrement ivre, car c’est le troisième troquet où je m’arrête.